» Tardes de Soledad  » au cinéma et « Macbeth » au théâtre.

Je voudrais évoquer le film  » Tardes de Soledad » et la représentation de  » Macbeth » à la Comédie française.

« Tardes de soledad » ( après- midi de solitude ) est un film d’ Albert Serra. Il filme Andrès Roca Rey , un toréador péruvien . Le film est interdit aux moins de douze ans et comporte un avertissement, ce qui est justifié. Albert Serra filme de très près ( comment a- t-il fait ? c’est une prouesse cinématographique ) les corridas et surtout les passes d’ Andrès Roca Rey et la mise à mort des taureaux. C’est sanglant , la mise à mort des taureaux et l’estocade sont sanglantes et très difficiles. La chemise du matador est maculée de sang. A deux reprises, Andrès Roca Rey est renversé par le taureau et manque de mourir. piétiné.Il est secouru par ses équipiers. Serra filme les picadors, les cavaliers qui  » harcèlent  » le taureau ( les chevaux sont caparaçonnés de protections en métal), les aides ,les seconds du matador. et surtout les passes du matador . On voit aussi Andrès Roca Rey et son équipe dans le minibus et à l’ hôtel. On voit le toréador faire le signe de croix , pour demander la protection divine, examiner ses blessures, s’habiller, choisir les vêtements richement ornés pour la corrida. Serra adopte un point de vue tout à fait remarquable. Il ne manifeste pas d’émotion , il a de la sympathie pour Andrès Roca Rey, mais il évite la fascination.

Mais peut être l’essentiel n’est-il pas là. On pourrait voir dans le film une analyse sociale ou anthropologique. Ce n’est pourtant pas vraiment un film sur l’élevage et le choix des taureaux , sur la corrida comme phénomène social. Ce n’est pas non plus un film sur l’anthropologie de la corrida. Un de mes amis faisait une analyse très intéressante de la corrida. C’est un vieux rituel rural des éleveurs de taureaux, c’est aussi un combat entre les forces terrestres , chthoniennes ,obscures , sauvages ( le Minotaure) et l’ homme. Mais à mon avis, ce que montre le film , c’est la folie privée d’un groupe et surtout d’un homme. On voit que le toréador et son équipe forment un groupe à part , très concentré sur la corrida. Ils ne plaisantent pas, parlent peu , font juste quelques compliments. Ils sont concentrés sur leurs actions ( le cavalier, les picadors) C’est très risqué , ils risquent la mort. face aux taureaux furieux. Mais ils infligent aussi la mort et la mort des taureaux est sanglante, éprouvante. Le film montre aussi la folie des toréadors. Ils vivent dans un monde particulier. Il y a un contraste entre la splendeur de leurs vêtements et la sauvagerie de la corrida. Ce côté de folie particulière apparaît surtout dans le cas d’ Andrès Roca Rey. Serra le filme de très près ,faisant des passes complexes tout près du taureau , parfois de face , parfois de côté. Il filme ses expressions , la manière dont il défie et appelle le taureau. Serra montre ses expressions, son visage. Il n’ y a pas de peur, ni de gloire. On y voit une extrême maîtrise de soi et en même temps la conscience que le danger est omniprésent . C’est ce qui crée l’étrangeté du film.

On pourrait faire deux rapprochements cinématographiques. Le premier c’est avec les films de Jean- Pierre Melville. Les films de Melville m’ont toujours paru énigmatiques . Un jour j’ai lu dans la revue  » Positif » du regretté Michel Ciment un dossier consacré à Melville. L’un des critiques soulignait que les personnages de Melville étaient comme des demi-dieux parmi les hommes, obéissant à leurs propres règles. Cette phrase m’a paru très éclairante. Les personnages de Melville ne vivent pas dans le monde commun . Ils sont comme les héros de l’  » Iliade » vivant dans leur monde personnel, différents du commun des hommes . et liés aux dieux, au destin . C’est aussi l’impression que donnent les toréadors dans le film de Serra.

On pourrait aussi faire un rapprochement avec les films de Martin Scorcese . Là aussi , les personnages vivent dans un monde à part. C’est le cas me semble-t-il dans beaucoup de ses films comme  » Casino » et surtout un film consacré à la boxe dans lequel Robert de Niro incarne un boxeur Jack La Motta surnommé Raging Bull. Là aussi ,c’est un monde part . C’est ce monde à part et cette folie de groupe et folie privée que filme Serra. On pourrait y voir. une dimension religieuse, sacrée. Ceux qui exercent une activité où l’on risque la mort sont entourés admirés, mais sont aussi marqués par la folie et vivent à part.

Le second spectacle dont je voudrais parler est la représentation de  » Macbeth » à la Comédie française. Il y a plusieurs manières de représenter « Macbeth ». On peut y voir une tragédie médiévale sur le pouvoir, l’usurpation. La metteuse en scène (je ne sais pas si on peut utiliser la féminisation du terme) Silvia Costa a choisi de mettre l’accent sur la folie de Macbeth et de Lady Macbeth. La mise en scène est somptueuse avec l’anneau de la couronne , les étoffes rouges. Macbeth, après ses meurtres est habillé d’une veste rouge. Les soeurs fatales ( on utilise ce terme plutôt que les sorcières) sont très réussies. Julie. Sicard ( Lady Macbeth) et Noam Mogensztern ( Macbeth) incarnent des personnages saisis par la folie. Dans le livret de présentation, Silvia Costa souligne qu’elle a voulu montrer deux aspects. Le premier , c’est que Macbeth interprète mal les prédictions des sorcières et que c’est cette mauvaise interprétation qui conduit à la tragédie. Silvia Costa souligne aussi qu’une fois que Macbeth et Lady Macbeth commettent un meurtre, les barrières de l’interdit du meurtre disparaissent et que l’on sombre dans la violence sans barrière , alors que d’habitude des barrières existent. La mise en scène montre très bien ce basculement dans la folie. Si je peux cependant formuler une critique, c’est que parfois la mise en scène éclipse un peu le texte. On aimerait parfois que le texte soit mieux mis en valeur. On l’entend , mais il faut parfois tendre l’oreille. C’est cependant tout à fait réussi . Si on se donne la peine d’être attentif, on est sensible au tragique du texte.

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