A ma connaissance, peu de critiques ont parlé du roman de Bruno Le Maire » Fugue américaine » ( ed. Gallimard) . Il s’agit peut- être de la peur de passer pour un flatteur à l’égard du Ministre des Finances. De surcroit, les réseaux sociaux n’ont pas été tendres avec Bruno Le Maire en extrayant quelques mots un peu « osés » p 74, attaque qui ne rend pas justice au roman.
Le narrateur du roman se nomme Oskar Wertheimer, c’est un psychiatre new -yorkais dont les parents ont fui le nazisme. Le narrateur, âgé de quatre -vingt dix ans écrit en 2022 , mais le roman évoque des évènements des années 1949-1965. L’action se situe à Cuba et à New-York ou sur la côte Est des Etats-Unis. Les personnages principaux en sont Oskar Wertheimer, son frère Frantz, et le pianiste Vladimir Horowitz. Le roman évoque la rencontre entre Oskar et Frank Wertheimer avec Horowitz à Cuba en 1949 , puis les relations entre Oskar ( devenu son psychiatre ) et Horowitz ,et le destin de Frantz Wertheimer. L’ouvrage décrit très bien le Cuba de 1949 et le New -York des années 1950- 1970 et au delà puisqu’il évoque les tours jumelles du Word Trade Center. Il décrit très bien les Juifs new-yorkais d’origine allemande qui ont dû fuir l’ Allemagne nazie.
La musique occupe une grande place dans le roman. Bruno Le Maire est lui même pianiste je crois et avait consacré un ouvrage à un musicien autrichien. Le personnage central du roman est Vladimir Horowitz. Bruno Le Maire évoque son histoire: il avait quitté la Russie soviétique pour réussir en Europe, puis avait émigré aux Etats-Unis. Son père avait été arrêté et déporté au Goulag où il avait trouvé la mort. Bruno Le Maire évoque un autre pianiste de génie , Sviatoslav Richter qui , lui, avait choisi de rester en Urss, mais dont le père avait été également assassiné par les Soviétiques ,et qui haïssait le régime, tout en se tenant éloigné de la politique. Bruno Le Maire évoque la personnalité de Vladimir Horowitz. Il montre brillamment comment il était un pianiste de génie, capable de comprendre mieux que quiconque le sens des oeuvres , un pianiste conscient de son génie.( » after all, I am Horowitz »),mais aussi un homme fantasque, connaissant d’immenses périodes de dépression. Bruno Le Maire parvient très bien à faire comprendre ce qu’est l’interprétation exceptionnelle d’une oeuvre musicale, et la manière dont les plus grands interprètes ( Horowitz , Richter , Rubinstein peu mentionné) s’emparent de l’oeuvre pour en exprimer le génie.Son écriture permet de comprendre ce que peut être le génie d’un interprète.
L’ ouvrage est aussi une réflexion sur le tragique de l’existence: les dépressions d’ Horowitz ,la situation tragique de Sviatoslav Richter ,la dépression du frère du narrateur Frantz. Où trouver une réponse dans un monde où la religion est en recul ? Oskar Wertheimer , converti au catholicisme, pense la trouver dans la religion, mais il est conscient qu’en Occident la religion est en recul et que cela laisse un monde tragique.
L ‘ouvrage est aussi une réflexion sur le tragique de l’ Histoire: celle des juifs persécutés et exterminés , celle des juifs qui ont émigré aux Etats-Unis, celle des victimes du totalitarisme soviétique ( exécutions de masse , déportation au Goulag ).
Littérairement l’ouvrage est très réussi. Les personnages sont bien dessinés , l’atmosphère de Cuba et des Etats- Unis des années 1949- 1965 est très bien rendue. L’ouvrage est porté par un souffle littéraire et une écriture très soutenue. On ne s’ennuie pas et on lit le roman avec un grand intérêt.