Pour une lecture tocquevillienne de l’opposition à Emmanuel Macron

La loi sur la réforme des retraites a été adoptée par le Parlement et validée par la Conseil Constitutionnel. La promulgation de la loi n’empêche pas la poursuite de manifestations, sans doute minoritaires, mais bruyantes et hostiles à Emmanuel Macron. A mon avis, ces manifestations sont minoritaires, même si la loi est difficile à accepter. Un certain nombre d’intellectuels ont aussi critiqué Emmanuel Macron en lui reprochant de ne pas écouter le mouvement social.

On peut peut-être proposer une lecture tocquevillienne de ces critiques. Mes souvenirs de  » L’ Ancien Régime et la Révolution » sont anciens ( merci à la professeure qui m’avait fait découvrir ce livre ), mais il me semble que l’une des thèses est la suivante. L’ Etat administratif louis-quatorzien, très puissant, a fait disparaître les corps intermédiaires ( en particulier la puissance politique de la noblesse) et a modelé le pays , souvent au prix de grandes violences ( cf la répression des émeutes antifiscales) au moyen d’un Etat et d’une administration très puissants .Sous l’ Ancien Régime, c’était mis au service de la puissance royale ( cf lest travaux de l’historien Joël Cornette  » Le roi de guerre » ) mais cela s’est poursuivi sous la Révolution et l’ Empire, et au delà de Tocqueville, on pourrait ajouter sous la Vème République gaullienne et post -gaullienne. Dans ce contexte, dit Tocqueville me semble t -il, les intellectuels ne soutiennent plus le régime mais deviennent très critiques. Les Lumières ont été un mouvement très positif ( critique de l’absolutisme, de l’arbitraire , du fanatisme, de l’intolérance religieuse) C’était aussi un mouvement critique de la monarchie, surtout dans son aspect le plus radical. On retrouve une trace de ces liens complexes entre le pouvoir et les intellectuels dans la fameuse phrase du général De Gaulle à propos de Jean-Paul Sartre . Sartre était très critique à l’égard de De Gaulle au moment de la guerre d’ Algérie, et ses conseillers lui auraient conseillé de le faire arrêter .De Gaulle aurait répondu : » on n’emprisonne pas Voltaire ».Pompidou avait vu aussi cette dimension critique des intellectuels. Il me semble que les intellectuels ont maintenu souvent cette dimension critique, soit très critique contre Giscard ou Sarkozy , soit plus bienveillante ( bienveillance critique) avec Mitterrand , Jospin ou Hollande).

Avec Macron la situation change assez radicalement. Les spécialistes de sciences politiques des « sommets de l’ Etat « , comme le dit Pierre Birnbaum ou les analystes des courants intellectuels le diront mieux que moi, mais il me semble que Macron introduit un grand changement. Il est plus jeune, ses références intellectuelles sont autres, il a fait de très solides études et ne doit rien aux intellectuels institutionnels, il s’est forgé sa propre culture. Peut être est -il l’héritier de la formation reçue dans un collège de Jésuites. De plus comme l’a souligné Gérard Grumberg dans son ouvrage  » La République et les sauveurs » , Macron a eu très tôt l’idée de l’autorité , de la verticalité du pouvoir présidentiel. Il est vraisemblable que les ministres et hauts fonctionnaires partagent ses références intellectuelles. D’où sans doute un certain décalage et dépit des intellectuels institutionnels mécontents de ne pas être écoutés. Il n’est pas sûr que ces choix déplaisent dans un pays très attaché à l’autorité de l’ Etat. A mon avis ce qu’on appelait dans ma jeunesse  » la majorité silencieuse  » lui est attachée . De plus, comme le soulignait l’un de mes amis, pourtant très critique à l’égard de la réforme des retraites, nous vivons dans un pays où l’école est gratuite, les soins quasi -gratuits. Qui voudrait renoncer à ce modèle ?

Ajoutons une dernière remarque. Lors de la soirée des Molière , lundi 24 avril , la ministre de la culture Mme Rima Abdul- Malak a fort bien répondu aux intermittents du spectacle ( applaudis) qui critiquaient la loi sur la réforme des retraites.Elle a rappelé qu’ elle avait toujours prôné la concertation et que c’étaient les représentants des syndicats qui avaient reporté les réunions. Elle a elle aussi été applaudie. Tout ceci vient rappeler que la critique est assez surjouée ,les professionnels de la culture pouvant s’appuyer sur l’aide de l’ Etat. C’est très bien ainsi , mais il faut le dire.

A propos de l’ Ancien régime , il faut aussi mentionner le très éclairant ouvrage de l’ historien Denis Richet  » la France moderne : l’esprit des institutions » ( ed Flammarion) ouvrage très éclairant sur le pouvoir sur l’ Ancien Régime.

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